Les sanctions ont des conséquences humaines

La crise en Syrie est considérée comme la plus grande catastrophe pour l’humanité depuis la Seconde Guerre mondiale. Plus de onze millions de Syriens sont en fuite dont au moins cinq millions ont quitté le pays. Les sanctions économiques contre la Syrie, soutenues également par la Suisse, rendent la situation encore plus terrible. CSI exige une réorientation politique et un examen stratégique de la situation.

Jamileh (16 ans) souffre de leucémie. Ici, avec Sœur Sara. (csi)

Il y a plus de cinq ans, les USA et l’UE ont imposé des sanctions économiques au gouvernement syrien après que celui-ci a réprimé avec violence les manifestations pacifiques du Printemps arabe. Dans la suite, les sanctions ont été élargies jusqu’à atteindre une ampleur encore jamais vue. Actuellement, elles représentent une punition collective pour la population syrienne tout entière. Les trois patriarches de Damas l’ont confirmé le 23 août 2016 dans leur appel lancé à la communauté internationale : « Arrêtez le siège du peuple syrien ! Levez les sanctions internationales contre la Syrie ! »

La DDC finance le rapport interne de l’ONU

Le 18 mai 2011, la Suisse s’est ralliée aux mesures de sanctions de l’UE. Non seulement ceci remet en cause la neutralité helvétique, mais aussi sa tradition humanitaire. En effet, il faut savoir que la population civile est la première à souffrir des sanctions. La Direction du développement et de la coopération (DDC) du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) suisse a financé un rapport qui le confirme. Ce rapport de 42 pages intitulé « Humanitarian Impact of Syria-Related Unilateral Restrictive Measures » (Les conséquences humaines des mesures restrictives unilatérales contre la Syrie) a été commandé par la Commission économique et sociale des Nations Unies pour l’Asie occidentale (UNCESAO). Bien qu’il soit daté du 16 mai 2016, il n’est parvenu au public qu’à la fin du mois de septembre 2016, par voie non officielle.

L’aide humanitaire est entravée

Selon le rapport, les sanctions entravent les livraisons à but humanitaire qui sont pourtant nécessaires à 13 millions de personnes, ce qui correspond aux deux tiers de la population syrienne. Cela est notamment dû au fait que toutes les livraisons d’équipements massifs sont sanctionnées. Or un des grands problèmes à résoudre est l’approvisionnement en eau potable des populations civiles. Mais pour l’exportation de tuyaux d’eau et de pompes vers la Syrie, il est nécessaire d’avoir une autorisation spéciale émanant du pays exportateur, ce qui crée des retards et des complications liés aux excès de la bureaucratie. Souvent, les frais nécessaires à l’obtention des autorisations dépassent même la valeur des objets concernés.

Les dons en espèce sont également concernés par les sanctions. Les banques occidentales refusent d’effectuer des versements qui ont une relation quelconque avec la Syrie. Elles ne veulent en aucun cas enfreindre les sanctions parce qu’elles risquent des amendes élevées, surtout de la part des USA. Le Tages-Anzeiger a présenté un cas concret : Alice Meier*, de Saint-Gall, est une retraitée. Elle voulait verser 50 francs à la Fondation Jesuiten weltweit basée à Zurich. Dans la case réservée aux communications, elle a précisé « Enfants en Syrie ». Le Crédit Suisse a tout bonnement refusé d’effectuer le paiement en indiquant les sanctions encourues.

Des conséquences économiques dévastatrices

Le rapport met aussi le doigt sur les conséquences économiques des sanctions. Entre 2010 et 2015, la baisse des importations et exportations entre la Syrie et les USA, l’UE ou la Suisse atteint de 86 % à 99,7 %, simultanément à la mise en œuvre des sanctions. Ces chiffres laissent entrevoir une influence directe des sanctions sur la fermeture de nombreuses entreprises syriennes et sur l’arrivée du chômage massif qui s’en est suivi. Le responsable de mission pour le Moyen-Orient John Eibner en a eu la confirmation de la bouche de deux hommes d’affaires d’Alep qu’il a rencontrés à Tartous lors de son dernier voyage en Syrie : « Nos entreprises sont en train de tomber en faillite. Nous avons dû licencier tous nos collaborateurs. » Les deux hommes sont issus de familles chrétiennes aisées d’Alep. Ils sont en train de tout perdre, mais ils désirent avant tout retourner dès que possible dans leur ville natale.

Le secteur de la santé est fortement concerné

Le conflit armé et les sanctions économiques ont aussi de graves conséquences pour le secteur de la santé. Le rapport souligne que plus de la moitié des hôpitaux étatiques de Syrie ont été endommagés ou détruits par la guerre, tandis que les sanctions ont rendu impossible de fournir des matériaux pour la reconstruction. Cela est également valable pour la production de médicaments. Avant la guerre, seuls quelques médicaments isolés étaient importés, la plupart étant produits dans le pays même. Mais à présent, de nombreux centres de production ont dû fermer leurs portes et ceux qui fonctionnent encore ont beaucoup de peine à obtenir les matières premières qui leur sont nécessaires.

Les médicaments contre le cancer font partie de ceux qui étaient déjà importés avant la guerre. Actuellement, ils sont hors de prix, à l’image de nombreux autres médicaments. Jamileh (16 ans) souffre de leucémie. Depuis quatre ans, les transfusions de sang et les médicaments sont devenus vitaux pour elle, mais sa famille est incapable de les payer. Grâce à vos dons, CSI peut financer son traitement. « Jamileh est une jeune femme douée qui va de nouveau à l’école, mais mieux encore, elle m’aide aussi à enseigner dans certaines classes », déclare notre partenaire de mission CSI Sœur Sara*, qui assiste la famille sur place.

Une réorientation politique est nécessaire

Depuis plus de cinq ans qu’elles sont en place, les sanctions n’ont eu aucun effet bénéfique pour résoudre le conflit syrien. Au contraire, elles ont accentué les effets de la guerre, alors que le président Bachar el-Assad reste attaché au pouvoir. Le but des sanctions était d’accélérer un changement de régime. Il n’a pas été atteint. Au lieu de cela, les Syriens qui veulent rester dans leur patrie sont punis avec l’arrivée d’une catastrophe économique et humaine. Pour permettre une vie digne aux habitants de Syrie, il est nécessaire de se réorienter politiquement et d’abandonner l’idée d’un changement de régime forcé.

Le résultat de plus de douze ans de sanctions de l’ONU contre l’Irak a été la mort de plus de 100 000 enfants irakiens.** Si la communauté internationale continue à être aveugle quant aux conséquences humaines des sanctions économiques contre la Syrie, nous atteindrons bientôt des chiffres semblables. Le Conseil fédéral estime-t-il que ce prix « en vaut la peine », selon les mots mêmes de l’ancienne ambassadrice américaine de l’ONU Madeleine Albright qui méprisait ainsi les morts en Irak sur CBS News ?

Alexandra Campana

 

* Nom fictif

** Cf. Richard Garfield, « Morbidity and Mortality among Iraqi Children from 1990 through 1998 : Assessing the Impact of the Gulf War and Economic Sanctions », Occasional Paper, Kroc Institute for International Peace Studies, March 1999.


CSI lance un appel à Johann Schneider-Ammann

Le rapport interne de l’ONU financé par la DDC « Humanitarian Impact of Syria-Related Unilateral Restrictive Measures » recommande que les États qui ont imposé des sanctions économiques à la Syrie effectuent une « vérification stratégique ». On devrait garantir que les sanctions n’empêchent ni l’aide humanitaire ni la reconstruction à l’intérieur de la Syrie. CSI s’est ralliée à cette recommandation et a invité par écrit le conseiller fédéral Schneider-Ammann en décembre 2016 à entamer une telle vérification auprès du SECO qui coordonne la politique de sanctions de la confédération.

Les conclusions qui sont mises au jour dans le rapport sont choquantes. En adoptant les mesures de sanctions de l’UE, la politique suisse est complice d’une catastrophe pour l’humanité. En tant que pays neutre de tradition humanitaire, la Suisse devrait avoir à cœur de se pencher sur le sujet.

Voici les liens concernant le rapport interne de l’ONU et les autres documents mentionnés :

Appel humanitaire des trois patriarches de Damas

Rapport interne de l’ONU financé par la DDC (en anglais)

Lettre de CSI au Conseiller fédéral Schneider-Ammann (en allemand)  

Commentaires

Nous serions heureux que vous nous fassiez part de vos commentaires et de vos ajouts. Tout commentaire hors sujet, abusif ou irrespectueux sera supprimé.


The reCAPTCHA verification period has expired. Please reload the page.

Votre commentaire a été envoyé.

Le commentaire a été envoyé. Après avoir été vérifié par l'administrateur, il sera publié ici.