26 février 2019

Les autorités contestent toute persécution religieuse

En dépit des dénégations du gouvernement, de violentes persécutions visent de plus en plus les chrétiens et les musulmans. Les coupables, des groupes ou des politiciens bouddhistes fanatiques qui veulent gagner des voix auprès de la majorité bouddhiste, ne sont souvent pas punis. Dans cette interview, l’avocat Me Esther explique comment les victimes doivent se comporter.

Me Esther a fait une conférence remarquée l’an dernier lors de la Journée CSI à Lausanne et à Zurich. Elle a aussi pris le temps de dialoguer avec les participants. csi (csi)

CSI : Me Esther *, vous tenez un relevé des attaques contre des chrétiens. De quels chiffres parle-t-on ? 
Me Esther : Selon nos recherches, il y a eu 86 attaques en 2018. En 2017, nous avons enregistré 96 cas. En tout, depuis 2015, on relève 297 attaques. Ces chiffres sont extrêmement inquiétants quand on sait que les chrétiens représentent seulement 1 % de la population, soit quatre cent mille personnes.

De quel type d’attaques s’agit-il ?
En 2017, la plupart des attaques étaient de nature violente et il n’est pas rare que les victimes aient été hospitalisées pour des blessures graves. De plus, les blessures morales qui résultent de telles attaques sont également très graves.

En 2018, il y a eu davantage de menaces et de discriminations, comme des coupures d’eau et de courant, ou même l’exclusion d’une communauté villageoise. Souvent, on interdit aux chrétiens de faire leurs courses dans certains magasins ou on les empêche d’utiliser les transports publics. Il arrive également que des enfants chrétiens soient refusés dans les écoles étatiques.

Quels sont les principaux responsables de ces attaques ?
Les attaques à caractère religieux portent souvent l’empreinte de mouvements bouddhistes radicaux menés et excités par des moines.

Malheureusement, les auteurs de ces attaques sont parfois aussi soutenus par des politiciens. Certains d’entre eux tendent à fausser ces incidents pour s’attirer la faveur de la majorité de la population bouddhiste et en tirer un profit politique. C’est ainsi que sont apparues des rumeurs laissant entendre que les minorités religieuses pourraient prendre possession du Sri Lanka, ce qui est parfaitement aberrant puisque 70 % des habitants du Sri Lanka sont bouddhistes. Mais les bouddhistes fanatiques vont plus loin. On entend souvent dire : « Nous les Cinghalais (à majorité bouddhiste) avons gagné la guerre contre les Tamouls. Nous luttons donc pour un pays entièrement bouddhiste. »

Quels sont les autres sévices subis par les minorités religieuses ?
Elles sont marginalisées et endurent toutes sortes de privations : des politiciens locaux s’en réfèrent par exemple à une circulaire datant de 2008 et interdisant surtout la construction de nouvelles églises. Nous luttons contre cette circulaire qui n’est pas légale. Il y a également des restrictions concernant la tenue de cultes, notamment dans les régions rurales.

Dans certains villages, les chrétiens sont même discriminés pour la construction de bâtiments privés. Un pasteur qui voulait construire une maison s’est vu refuser le raccordement à l’eau courante. Grâce à notre intervention soutenue par CSI, le cas a été réglé.

Dans quelles régions du Sri Lanka les chrétiens sont-ils le plus opprimés ?
La situation est particulièrement précaire à l’est du pays. Mais à l’exception de la capitale Colombo, il y a des attaques presque partout.

Donc également dans le nord du pays, où vit la minorité tamoule ?
Oui. Environ 13 % de la population sri-lankaise est tamoule, et la plupart d’entre eux sont hindous, ce qui fait d’eux une majorité dans le nord du pays. Or eux aussi s’attaquent toujours plus aux minorités religieuses, surtout aux chrétiens. Avant la guerre civile, les hindous et les chrétiens vivaient en paix ensemble. Mais sous l’influence de l’Inde, les hindous du Sri Lanka se radicalisent toujours plus.

Quelle est la relation entre les hindous et la majorité bouddhiste ?
Au plan strictement religieux, ils s’entendent bien. Mais lorsque des considérations ethniques interfèrent, cela devient problématique. Depuis la fin de la guerre en 2009, les rapports entre les Tamouls (en majorité hindous) et les Cinghalais (en majorité bouddhistes) ne se sont malheureusement pas améliorés en beaucoup d’endroits.

Jusqu’ici, nous nous sommes concentrés sur les victimes chrétiennes. Qu’en est-il des musulmans ?
Les musulmans représentent environ 8 % de notre population. Du fait de leur nombre relativement important, ils ont plus d’influence que les chrétiens. Mais ils sont également victimes d’attaques pour motifs religieux. Tout comme les chrétiens, ils tentent d’éviter la confrontation par des moyens pacifiques et de ne pas se venger.

Existe-t-il une différence entre les attaques contre les musulmans et contre les chrétiens ?
Les musulmans habitent généralement dans des régions à majorité musulmane, alors que les chrétiens sont dispersés. Il n’existe pas de régions à proprement parler chrétiennes. Cela rend les musulmans moins vulnérables. D’autre part, ils sont opprimés seulement depuis 2012, alors que les chrétiens le sont depuis environ vingt ans. Une autre différence est à chercher dans la nature même des attaques : les musulmans sont souvent des commerçants habiles et ce sont souvent leurs magasins qui sont pris pour cibles.

En tant qu’avocate, vous soutenez les chrétiens qui sont menacés ou qui ont été victimes d’attaques religieuses. Pouvez-vous nous décrire en quelques mots en quoi consiste votre travail ?
Nous organisons régulièrement des séminaires pour favoriser la prise de conscience des droits dont jouissent les chrétiens vulnérables ; ces derniers apprennent à éviter la persécution religieuse. Nous recommandons une prudence particulière aux anciens bouddhistes convertis à la foi chrétienne, sachant qu’ils sont gravement menacés.

Lors d’une menace ou d’une attaque, une victime devrait dans tous les cas appeler la police et déposer plainte, même si chez nous, les auteurs d’agressions à caractère religieux restent largement impunis. Cette impunité est insoutenable et nous nous y opposons. Nous recommandons donc de déposer systématiquement plainte et nous soutenons cette action. Un tel pas demande du courage, mais il est payant : si l’on prend le temps d’entreprendre des démarches juridiques, les agresseurs vont, avec le temps, laisser tomber leur victime.

Pour nous, il est également important de travailler avec des personnalités d’autres religions pour empêcher ensemble la propagation de l’extrémisme.

Vous apportez également une aide matérielle, avec le soutien de CSI et d’autres partenaires.
Oui, nous offrons de l’aide matérielle et médicale aux victimes de la violence religieuse. En cas de blessures importantes, nous assumons également les frais hospitaliers. Nous accordons aussi un logement de protection à ceux qui sont persécutés. Enfin, nous participons à la reconstruction des maisons qui ont été détruites par des extrémistes religieux.

Comment les politiciens de haut rang se positionnent-ils par rapport à la situation des minorités religieuses au Sri Lanka ?
Ils réfutent en général toute persécution pour motifs religieux chez nous : le Sri Lanka est un pays qui a une « culture de la honte ». Les responsables veulent donc à tout prix éviter la propagation de nouvelles négatives.

Reto Baliarda

* Nom fictif

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