Le début d’une nouvelle vie

Le petit Aneh a passé toute sa vie au Soudan (Nord), où il était esclave. Il y a connu les injures, les coups, le travail forcé et même le viol. Il découvre enfin la liberté.

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Nous sommes dans l’État du Bahr el-Ghazal du Nord, au Soudan du Sud. Près de 200 personnes sont là, assises sous un arbre. Pendant des années, elles étaient asservies au Soudan (Nord). Il y a des hommes, des femmes et des enfants, dont certains sont même nés en captivité. Tous sont originaires du Soudan du Sud. Pendant des dizaines d’années, la guerre civile a fait rage entre le Nord et le Sud. Des milices arabes avaient alors envahi le Sud, incendiant, pillant, tuant et enlevant des dizaines de milliers de captifs. Durant le trajet vers le Nord, les esclaves subissaient des coups et des viols. Les miliciens abattaient sans hésitation ceux qui tentaient de fuir ou ceux qui étaient trop faibles pour poursuivre ce long périple à pied. Les rafles d’esclaves faisaient partie du djihad déclaré par Omar el-Béchir, le président soudanais, durant la guerre civile.

CSI veut tous les libérer

Le temps a passé. Un accord de paix a été signé en 2005 et, depuis 2011, le Soudan du Sud est un État indépendant reconnu aussi par le Soudan. Certes, on assiste encore à de violentes altercations et l’armée de l’air soudanaise bombarde régulièrement les Monts Nouba, où se cacheraient des rebelles; plus triste encore, au sein même du Soudan du Sud, un conflit ethnique divisant les Nuer et les Dinka a déjà fait plusieurs milliers de morts dans leur lutte pour le pouvoir.

Mais les rafles d’esclaves ont au moins cessé depuis l’accord de paix de 2005. Cela n’empêche pas que, près de dix ans plus tard, de nombreux Sud-Soudanais sont encore esclaves au Soudan. Selon des estimations prudentes, ils seraient encore 20 000, mais personne ne connaît leur nombre exact. CSI s’est fixé pour but de tous les libérer.

Toujours des coups de fouet

Mais revenons aux esclaves affranchis qui se protègent de l’ardeur du soleil à l’ombre d’un grand arbre. L’un d’eux a environ neuf ans. Il s’appelle Aneh Manot Bak. On l’a probablement enlevé alors qu’il était bébé, à moins qu’il ne soit né au Nord. Aneh ne se souvient ni de son père, ni de sa mère. C’est par l’intermédiaire d’une esclave plus âgée qu’il connaît son nom et son village d’origine. Ces informations sont très précieuses, car dans son village, Aneh trouvera des gens qui s’occuperont de lui. S’il n’a plus de famille, le chef du village lui donnera un père d’accueil. 

Quand nous lui posons quelques questions, Aneh est d’abord méfiant et taciturne. Mais avec le temps, la glace commence à se briser. À la fin de l’entrevue, au moment de poser pour la photo, il se met à rire de bon cœur. 

Aneh nous raconte que son maître, Abdullai, était un homme méchant. «Il me donnait des coups de fouet lorsque j’étais fatigué ou malade et que je ne pouvais pas travailler. Il me traitait d’idiot et de sale esclave. Parfois, je ne recevais rien à manger parce que je suis Dinka.» Oui, Abdullai l’a parfois violé, confie Aneh lorsque nous lui posons prudemment la question. Abdullai l’obligeait aussi à prier comme un musulman. Mais Aneh ne se souvient pas des prières musulmanes; en captivité déjà, il avait du mal à les retenir. «Quand je ne me souvenais pas des paroles, Abdullai me frappait.» La femme de son maître et ses cinq enfants le battaient également. Il n’était qu’un petit garçon, mais il n’avait pas le droit de jouer et il devait dormir dehors, tout seul. Malgré tous les mauvais traitements infligés, Aneh devait appeler son bourreau «papa».

Des cadeaux pour un nouveau départ

Nous offrons à Aneh, comme à tous les affranchis, les ustensiles dont il a besoin pour sa nouvelle vie. Il y a une marmite, une bâche, une faucille, quelques kilos de céréales et même une chèvre dont il pourra boire le lait. Reconnaissant, Aneh partage sa joie avec d’autres jeunes esclaves; ils sont devenus amis durant les deux semaines de marche qui leur ont permis de rallier le Sud. Nous prenons congé d’Aneh. Ce soir, il partagera encore un repas de fête avec les autres esclaves affranchis, avant de partir rassasié pour rejoindre son village d’origine. Pendant ce temps, le passeur d’esclaves arabe qui libère au nom de CSI retourne déjà vers le Nord. D’autres esclaves l’attendent.

Adrian Hartmann

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