Jour de joie

La libération d’esclaves doit se poursuivre. Il y a encore plus de 30 000 personnes asservies au Soudan.

Le pasteur Benjamin (ici avec sa famille) a été battu lors d’une distribution de nourriture organisée par l’État. Il a dû rentrer les mains vides. (csi)

Notre véhicule tout terrain instable se fraie un passage à travers la savane, dans la zone frontalière avec le (Nord-) Soudan. Je ne comprends pas comment le chauffeur peut s’orienter ici… mais il semble connaître parfaitement son chemin. Mon déplacement avec des collaborateurs et quelques amis doit permettre de finaliser une nouvelle action de libération d’esclaves de retour au Soudan du Sud.

Des esprits sur des chevaux

Nous nous déplaçons dans une région où une guerre civile sanglante a fait rage jusqu’en 2005. La population civile en avait particulièrement souffert, puisque les villages sont dispersés, comme partout dans cette région. Cela les mettait à la merci des raids perpétrés par des milices de guérilléros « Janjawids ». Ce terme peut être traduit par « des esprits sur des chevaux ». Quand on voit le paysage, on comprend le nom de ces bandes armées. Quels moments d’horreur irréelle lorsqu’un cavalier surgit seul des buissons… puis un deuxième… et enfin plusieurs centaines ! Le sort des civils ne faisait plus guère de doute : le viol, l’esclavage ou la mort. Ces six dernières années, la paix a enfin permis à la population de se reposer, mais de nombreux problèmes sont restés en suspens.

Le collaborateur de CSI Gunnar Wiebalck me tire de mes pensées : « C’est plus sec que d’habitude, me dit-il. Trop sec. À cette période, en fait, tout devrait être vert. » Or les champs que nous côtoyons sont bruns. Certains n’ont pas pu être labourés, à cause de la sécheresse. Si même une récolte devait être possible, elle serait maigre. Un prélude à la famine. Ce n’est que quelques semaines plus tard que CSI a pu aider à compenser la récolte perdue dans cette région, grâce à des dons généreux.

« Vous êtes libres ! »

Après plus de deux heures, nous atteignons notre but : une clairière au milieu de laquelle se dresse un grand arbre. À l’ombre de sa large frondaison se trouve un groupe. Silencieux et embarrassés, ils sont assis et attendent. Des femmes de tout âge, parmi lesquelles se trouvent de nombreuses mères avec leurs bébés… mais aussi de plus grands enfants et des jeunes hommes. Durant les dernières semaines, Osman B. s’est donné de la peine pour rassembler ce groupe.

Cet intermédiaire musulman s’engage depuis de nombreuses années en faveur de la libération d’esclaves. Il a acheté certains d’entre eux, il a arrangé la fuite de quelques-uns, ou il en a tout simplement emmené d’autres. Le groupe s’est ainsi élevé à quelque 200 personnes qui ont pu traverser discrètement la brousse pour rentrer dans leur patrie.

Certains anciens esclaves n’ont pas compris ce qui se passait ici. La plupart d’entre eux ont le regard baissé et n’osent pas nous regarder. À l’aide de nos traducteurs locaux, le collaborateur de CSI John Eibner les interpelle aimablement. Il leur explique qu’ils ont été libérés et leur demande comment l’intermédiaire les a traités au cours du trajet. Osman a été très gentil, un homme bon, répondent-ils avec une ferveur étonnante. Les questions ne sont pas terminées : près de la moitié des femmes ont dû abandonner des enfants dans l’esclavage. De nombreuses personnes ont des marques des sévices qu’elles ont soufferts et racontent les supplices endurés. Aucune d’entre elle n’a jamais vu un médecin. Le Dr Luka Deng, médecin de CSI, commence immédiatement à s’occuper des blessés et des personnes qui pourraient être atteintes de la malaria ou d’autres maladies graves. Pendant les heures qui suivront, il tiendra son « cabinet » sous un arbre. Il examinera chaque patient et leur délivrera les médicaments nécessaires.

L’équipe de CSI se répartit les tâches : John Eibner et Mike Gerson, un ami de CSI journaliste au Washington Post, s’asseyent avec quelques esclaves affranchis à l’écart du groupe, dans le calme, pour les questionner plus en détail. Gunnar Wiebalck recueille des informations concernant chacun, pour compléter leur dossier ébauché par nos collaborateurs locaux. Il les aide à remplir un questionnaire et les prend en photo individuellement. Il envoie parfois de nouveaux patients au Dr Luka Deng. La timidité s’effrite de plus en plus devant les manières aimables et détendues de Gunnar. La communication s’installe peu à peu, les plaisanteries fusent et il entame des jeux avec les enfants. On entend bientôt résonner le rire de personnes libres… libres de rire et libres de vivre.

Des retrouvailles après plusieurs années

Les colis de survie et les aliments sont ensuite distribués. Ces personnes qui étaient soumises à leurs maîtres ne possédaient rien. Aujourd’hui tout a changé. Elles ouvrent les colis comme des cadeaux de Noël, avec un enthousiasme communicatif. Des membres de leur famille, des amis et des voisins arrivent des villages alentours. Des personnes qui avaient perdu tout espoir de se revoir un jour se retrouvent dans les bras les uns des autres, tout heureuses. Un culte est célébré, des chants sont entonnés. On mange ensemble. Un bœuf est abattu à l’occasion de ce festin !

Après de nombreuses années pleines d’humiliation et de souffrance, se lève enfin un jour de joie et de bonheur, permettant le nouveau départ des esclaves affranchis. À la vue de cette scène, je pense au grand nombre de personnes qui sont encore asservies. Nous sommes décidés de poursuivre notre travail jusqu’à ce que chaque esclave puisse vivre un tel jour de joie !

Benjamin Doberstein

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