Une famille déchirée pendant deux ans à cause des extrémistes

Les attaques de Boko Haram ont dispersé la famille d’Emmanuel. Après un périple éprouvant de deux ans, père, mère et enfants ont à nouveau pu se serrer dans les bras. Le responsable CSI Franco Majok a rencontré la famille dans le camp de réfugiés de Jos.

À nouveau réunis et heureux : Emmanuel avec son épouse et l’une de ses quatre filles. (csi)

Emmanuel Yusuf, père de six enfants, vivait depuis toujours en paix avec ses voisins musulmans, dans le village de Chinene (État fédéral de Borno, nord-est du Nigéria) et travaillait comme agriculteur.

Mais cette image d’Épinal villageoise s’est sérieusement ternie lorsque les Agaji Boys, un groupe local de jeunes musulmans, se sont de plus en plus laissés influencer par le groupe terroriste Boko Haram. Emmanuel se souvient : « Ils commençaient à organiser des complots pour attaquer les chrétiens du village. »

Les intentions funestes des islamistes sont malheureusement mises à exécution : au début du mois de juin 2014, des islamistes armés se rassemblent dans les montagnes des alentours de Chinene dans le but de mener une attaque contre les chrétiens du village. Emmanuel raconte : « Ils pensaient que personne ne serait au courant de leur projet, mais quelques enfants qui ramassaient du bois ont vu les agresseurs se cacher avec leurs armes. Paniqués, les enfants ont commis une erreur fatale : ils se sont mis à courir en direction du village pour avertir leurs parents. Les Agaji Boys les ont alors suivis et ils ont lancé directement leur assaut sur Chinene, en assassinant plusieurs chrétiens et en mettant le feu à des maisons et aux églises. À ce moment, j’étais assis avec des amis lorsque j’ai vu arriver les hommes en armes. Avec plusieurs autres chrétiens, nous avons fui vers les collines pour nous cacher. » Ce père de famille a pris la bonne décision : les expériences amères faites au cours des récents assauts de Boko Haram ont montré que les hommes chrétiens sont immédiatement mis à mort, tandis que les femmes et les enfants sont parfois enlevés, mais qu’on les laisse souvent au village qui passe simplement sous le contrôle de Boko Haram. Le lendemain de l’attaque, l’épouse d’Emmanuel peut donc retourner avec ses enfants dans leur maison, qui a été épargnée lors de l’assaut.

Sauvé par des musulmanes

Malgré le risque, Emmanuel sort de sa cachette pour savoir ce qu’est devenue sa famille ; aux alentours du village, un spectacle désolant s’offre à sa vue : des cadavres d’hommes chrétiens gisent au milieu des femmes en larmes.

Mais il n’a pas le temps de revoir sa famille : « Lorsque des femmes musulmanes m’ont vu, elles se sont précipitées vers moi, et m’ont conseillé de repartir tout de suite : des extrémistes de Boko Haram étaient en train de mener des agressions à moto dans les villages alentours. Elles m’ont aussi dit qu’un nouvel assaut sur Chinene se préparait. » Emmanuel doit une nouvelle fois prendre ses jambes à son cou pour fuir vers les collines, sans même savoir ce que sa famille est devenue.

Un périple périlleux

Grâce au téléphone portable d’un ami chrétien, Emmanuel parvient à contacter sa femme et à lui dire où il se trouve. Il explique plein de reconnaissance : « Elle me visitait chaque jour et m’apportait à manger. » Mais avec le temps, Emmanuel commence à se faire plus de souci pour sa famille. Après concertation, la famille décide de quitter la région ; il est même convenu que la mère et ses enfants se rendent dans un premier temps dans la métropole de Maiduguri, là où vit également le beau-père d’Emmanuel. Comme les environs de Maiduguri sont sous le contrôle de Boko Haram, il serait trop dangereux pour Emmanuel d’y accompagner sa famille.

Comme beaucoup de chrétiens de sa région, il fuit d’abord vers le pays voisin paisible, le Cameroun ; mais par crainte de Boko Haram, ce pays procède bientôt au renvoi des réfugiés. En quête d’un nouveau domicile pour sa famille, Emmanuel parcourt plusieurs régions du Nigéria au cours des mois suivants. Il essaye de s’établir dans l’État fédéral d’Adamawa, dans la capitale Yola. Mais là encore, il ne se sent pas assez à l’aise pour y rester à long terme, étant donné l’environnement majoritairement islamique. Il se résout donc à partir vers le sud du pays, où la majorité des gens sont des chrétiens.

Son périple l’amène vers Lagos, métropole au sud-ouest du pays. Là, il entend parler pour la première fois d’un camp de réfugiés chrétiens dans la ville de Jos (située au centre du Nigéria). Ce camp de réfugiés est géré par la Stefanos Foundation, une œuvre partenaire de CSI. Emmanuel se souvient : « Animé d’un nouvel espoir, j’ai appelé ma femme pour l’informer ; vu que la situation à Maiduguri était très difficile et tendue, elle s’est décidée à faire le pas courageux de venir avec les enfants au camp. » Emmanuel reste encore plusieurs mois à Lagos avant de rejoindre le camp de réfugiés de Jos en été 2016.

C’est donc avec des larmes de joie qu’Emmanuel peut à nouveau serrer sa femme et ses enfants après deux ans de séparation. La famille à nouveau réunie est reconnaissante pour la sécurité et l’encadrement qu’ils ont trouvés au camp ; après tant d’expériences douloureuses, elle peut enfin reprendre des forces et faire des projets d’avenir. Emmanuel caresse l’espoir de voir la situation s’améliorer, afin de pouvoir retourner un jour à Chinene pour y travailler la terre et vivre paisiblement.

Reto Baliarda

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